C’est dans les années 50 et 60, qu’il fut introduit dans différents sites en Moldavie et en Lituanie comme complément alimentaire pour les poissons d’élevage. De là, suite à des vidanges de bassins, il gagna la mer Baltique où il fut observé pour la première fois dans le golf de Finlande en 1992 et dans le delta du Rhin en Hollande en 1999 où il a été trouvé dans l’estomac de jeunes perches. Enfin, il a été observé en Angleterre en 2004.
C’est en juin 2005 que la première observation de cette espèce a été réalisée en Alsace. Les spécimens prélevés ont été envoyés au Muséum d’histoire naturelle de Londres où ils ont été identifiés comme étant Hemimysis anomala par le Dr Bamber, spécialiste des Mysidacea, famille à laquelle appartient notre crustacé. C’est la première observation de cette espèce en France. À ce jour, le petit crustacé a été observé dans le Rhin à hauteur de Volgelsheim, dans le canal d’alimentation de l’Ill à Krafft, et dans 2 gravières de centre Alsace.
Si l’arrivée du petit crustacé dans le nord-est de la France par le Rhin était prévisible au vu de ce qui a été dit plus haut, ce qui surprend plus, c’est son apparition dans des gravières isolées situées à plusieurs kilomètres du Rhin.
L’explication de ce phénomène est à rechercher dans la dynamique fluviale de notre région. En effet, les gravières en question sont proches de l’Ill et peuvent même communiquer avec elle en période de crue. On peut penser que cette rivière a servi de véhicule à nos crustacés depuis le Rhin. Il est peu crédible par contre que nos crustacés aient remonté l’Ill à contre courant et ce n’est pas non plus le transport fluvial absent sur cette rivière depuis fort longtemps qui a permis sa progression vers l’amont depuis le Rhin. Je pense plutôt que nos crustacés sont plutôt arrivés dans l’Ill par l’amont lorsque le débit d’étiage de cette rivière est soutenu en été par des apports d’eau du Rhin (via le Canal de Huningue et le Quatelbach), notamment au cours de la grande sécheresse de 2003. Il ne reste plus qu’à trouver notre petit crustacé dans l’Ill pour étayer cette hypothèse.
Il est également possible que l’apport de plantes aquatiques, l’alevinage ou les oiseaux d’eau aient pu contribuer au transfert d’Hemimysis anomala dans ces gravières.
Peu de choses sont connues sur l’écologie d’Hemimysis anomala, des études menées en Hollande ont montré qu’il avait un régime omnivore, mangeant de préférence du zooplancton (plancton animal), il est également détritivore et cannibale (observations personnelles). Les juvéniles se nourrissent principalement de phytoplancton (plancton végétal).
Peu de travaux scientifiques ont été menés pour étudier l’impact de la présence d’Hemimysis anomala sur les populations de phytoplanctons et de zooplanctons dont ils se nourrissent. Il existe certainement une compétition avec d’autres espèces planctonophages et/ou détritivores, espérons que le partage de nourriture ne se fasse pas au détriment des autres invertébrés de nos milieux aquatiques.
Mes observations montrent que Hemimysis anomala évite la lumière directe pendant le jour appréciant le dessous des pontons, les cavités et les anfractuosités diverses, une compétition pour ce type d’habitat très prisé par de nombreuses espèces a sûrement lieu. J’ai pu observer à plusieurs reprises la cohabitation d’écrevisses américaines (Orconectes limosus) et de colonies d’Hemimysis anomala dans différentes cavités, cohabitation d’autant plus intéressante qu’elle implique deux espèces invasives venant l’une de l’Ouest, l’autre de l’Est, arrivées grâce à l’homme et partageant le même logis dans une harmonie apparemment parfaite (voir photo).
Si notre petit crustacé se cache le jour, il est moins timide la nuit quand il sort à la recherche de nourriture, de très nombreux individus sont alors disséminés sur le fond.
Hemimysis anomala fut introduit en Moldavie et en Lituanie comme complément alimentaire, il est donc à prévoir que de nombreux poissons trouveront dans ce petit crustacé un mets de choix. J’ai observé récemment un Chabot et une larve de libellule s’en nourrir, cette prédation par la faune locale permettra, on peut l’espérer, la régulation de la prolifération de cette espèce capable de former des bancs importants.